Depuis son retour de l’Eglise, Natan ressent le besoin d’apprendre, d’étudier. Il s’est fait livrer deux bibliothèques en chêne massif aux rayonnages desquels viennent quotidiennement s’ajouter des ouvrages.
Le sol est propre. Dans un coin, près de la cheminée, une pile de partitions attend, résolue, d’être conduite au bûcher.
Sur les touches de son piano une fine couche de poussière.
Assis sur son tabouret, Natan lit. Serein.
Son visage a changé. D’imberbe il est devenu barbu. Une paire de lunettes aux fines montures dorées repose le vert fragile de ses yeux.
Natan sait à présent que pour comprendre le monde il lui faut le cerner. Il ne perd plus son temps à jouer du piano.
En une seule saison, il a dévoré plus de livres que durant toutes ses études. Science. Histoire. Économie. Géopolitique. Et maintenant, l’ornithologie. Nouveau sujet. Nouvelles nuits blanches.
Avant, les oiseaux, il les écoutait. Se laissait bercer de leur chant, suivait leurs longues conversations. Parfois même, il en était un, s’envolait par-delà les villes, regardait le soleil se lever, ses petites pattes confortablement calées sur un perchoir télégraphique, se laissait planer au-dessus des forêts, goûtant la rare sensation du vent chatouillant son plumage.
Maintenant, les oiseaux, il les classe en familles. Il les étudie, les répertorie.
Natan n’est pas triste.
Natan n’est pas gai.
Il est de plain-pied dans sa nouvelle réalité.
D’Eve il n’a gardé qu’une photo.
Elle est au sommet de la pile de partitions.
Parfois, Natan verse une larme, alors il va à la lucarne et la ferme, pensant qu’il a pris froid. La tristesse n’est pas au programme de sa nouvelle vie.
Natan veut oublier. Oublier sa vie d’avant. Futile.
Sur le toit de l’Eglise, les oiseaux se moquent de lui.
Il ne les entend pas, sa lucarne est trop souvent fermée.
Et puis, un oiseau, ça ne peut pas se moquer.
Un oiseau, ça n’a pas d’âme.
Mais les oiseaux ne le savent pas.